jeudi 28 janvier 2016

Du viol et autres dols

Le viol, c’est l’acte absolu par lequel les hommes affirment leur pouvoir sur les femmes – et leur pouvoir tout court. Prenons pour exemple, parmi les différents contextes dans lesquels il peut y avoir viol, le cas des guerres. Récompense du vainqueur et plus particulièrement du soldat (le « repos du guerrier »), il a, nous dit Susan Brownmiller dans sa pénétrante et avant-gardiste étude de la chose (1975), accompagné les guerres de religion, les guerres révolutionnaires, les guerres de conquête… toutes les guerres. Les justifications des violences sexuelles contre les femmes de l’ennemi varient, mais l’usage reste la norme. Arme de terreur, par exemple lorsque, pendant la Première Guerre mondiale (1914-18), les Allemands envahissent la Belgique neutre et se livrent à moult violences y compris des viols. Arme psychologique, ainsi les viols collectifs des Chinoises, lors de la Seconde Guerre mondiale, afin de renforcer la fraternité entre les soldats de l’armée impériale japonaise. Arme pour ainsi dire marchande dans le cas des bordels institués par Himmler dans cinq grands camps de concentration au profit des détenus dans le but d’accroître la productivité de ces derniers – et par la suite viols de ces mêmes femmes par leurs libérateurs. Arme de vengeance comme en 1945, lors de l’occupation de Berlin par les soldats russes : lorsque des femmes allemandes se rencontrent, chacune, en guise de salut, pose à l’autre la question « Combien de fois? » Et l’on pourrait aisément remplir des pages et des pages : viols collectifs de My Lai par les soldats américains en 1968, « camps de viols » mis en place par la Bosnie-Herzégovine entre 1992 et 1995 et grossesses forcées des femmes musulmanes « pour faire circuler le sang serbe »; utilisation du viol comme instrument de nettoyage ethnique au Rwanda en 1994 – il semble que 70% des femmes violées auraient alors été contaminées par le sida. Etc., etc., etc., ad nauseam. D’ailleurs, depuis 2008, le viol en temps de guerre est reconnu comme « tactique de guerre » par le Conseil de sécurité des Nations Unies : c’est tout dire.

Paradoxalement, de ce crime dont elles sont victimes et qui va parfois pendant longtemps laisser en elles des traces délétères, les femmes se sentent honteuses, voire coupables. Or, il y a eu effraction, vol de leur intimité, il leur faut travailler à transformer cette honte en colère, en lucidité : le coupable de cet acte vil, ce n’est pas elle, c’est il – l’homme.

Mais nous devons aussi agir collectivement. Par exemple, habituer filles et garçons à l’égalité de traitement dans le milieu familial, exiger de l’État qu’il réinscrive le cours d’éducation sexuelle au programme des établissements scolaires… N’oublions pas, toujours et partout :

Viol = vol = vil = il.

Andrée Yanacopoulo, PDF Québec

dimanche 10 janvier 2016

De quelques femmes remarquables - 3

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Aujourd’hui, je vous présente des femmes remarquables peu connues.



Al-Kâhina, dite la Kahena (Région de l’Aurès, 674?-704)

Personnage légendaire mais dont l’historicité est certaine, surnommée « la devineresse », dite « La reine des Berbères de l’Ifriqiyya », elle incarne la résistance berbère contre la conquête arabe au VIIe siècle. Guerrière résolue, elle reste, au-delà des récits véhiculés par la tradition, celle qui a fièrement revendiqué liberté et dignité pour son peuple. En 2003, une statue lui a été élevée à Khenchela (en berbère « Khenchelt »), dans l’est algérien. Laissons cette grande personnalité devenue figure mythique nous inspirer dans nos combats de femmes.


Emily Davison (Blackheathe, 1872-Epsom, 1913)

Suffragette, militante au sein de la Women’s Social and Political Union (WSPU) créée en 1903 par Emmeline Pankhurst, elle a été à neuf reprises emprisonnée pour cause de désobéissance civile. Le 4 juin 1913, pendant le Derby d’Epsom, elle arrive à gagner la piste et à se précipiter sur un cheval en pleine course avec l’intention, disent certaines, de lui accrocher au cou les couleurs de la WSPU. Grièvement blessée, elle finira par mourir quelques jours plus tard. Suicide ou accident? Impossible de se prononcer.


Louise Weiss (Arras, 1893-Magny-les-Hameaux, 1983)


Née dans une riche famille d’origine alsacienne, agrégée de lettres et diplômée d’Oxford, elle est habitée par la fièvre des combats. Pacifiste dans l’âme, elle rêve de voir réunies la France et l’Allemagne, se porte à la défense de la Société des nations. Féministe inconditionnelle qui veut « défendre les femmes contre les autres et contre elles-mêmes » (les Françaises lui paraissent bien timorées et « élevées à l’école de la résignation » en comparaison des Anglaises et des Américaines), elle se battra toute sa vie pour obtenir l’égalité civique et politique entre les femmes et les hommes, et en attendant, faute d’avoir le droit de vote, se prévaudra du droit à l’insurrection : un beau jour de 1936, avec ses compagnes de l’association La femme nouvelle, les femmes s’enchaînent les unes aux autres, bloquant toute circulation dans la rue Royale, à Paris.


Elizabeth Zaroubine (Bessarabie, 1900-?, 1987)


Elle participe activement au mouvement révolutionnaire qui devait en 1917 faire de la Bessarabie la très éphémère République démocratique moldave (aujourd’hui rattachée à la Roumanie). Puis, elle joint les rangs du parti communiste autrichien. Après moult péripéties, elle épouse l’espion Vassily Zaroubine, partage ses activités et devient rapidement maîtresse en la matière. Elle arrive à faire pénétrer, dans le cercle ultrasecret qui entoure à El Alamos le directeur scientifique du Projet Manhattan, Robert Oppenheimer, des agents russes grâce auxquels la Russie pourra, quelques années à peine plus tard, fabriquer sa propre bombe atomique.


Andrée Yanacopoulo