mardi 24 janvier 2017

Du relativisme culturel

Vivre ensemble sur un territoire donné exige de partager un minimum de façons de faire ou de dire ou de penser : la langue, la nourriture (heures, nombre, composition des repas), la fragmentation de la journée, l’éducation des jeunes, l’habillement, les croyances, les us et coutumes, les principes moraux, etc. Bref, ce que les anthropologues appellent la culture (à distinguer de la « culture » dite savante, laquelle désigne l’ensemble des connaissances que chacun/e peut accumuler). « Partager », faute de quoi la vie en commun n’est plus possible, dans le quotidien mais aussi en ce qui concerne la prise de décisions qui engagent la collectivité – qu’il s’agisse d’une petite communauté (religieuse, par exemple) ou d’un pays. Bref, vivre ensemble, c’est cohabiter et non simplement coexister. Cette culture, ciment du vivre-ensemble, est transmise aux enfants par la famille puis par l’école – c’est le mécanisme dit de socialisation et d’enculturation, lequel façonne notre personnalité tout en lui donnant (plus ou moins selon les cultures) la faculté de développer les caractéristiques propres à chacun. Bien sûr, à partir d’une certaine taille, des sous-groupes et des sous-sous-groupes etc. émergent, et donc des sous-cultures et des sous-sous cultures etc. peuvent se décrire, mais la très grande majorité reste soudée par l’acceptation (pour une très large part inconsciente) des valeurs communes de sa collectivité, à savoir les principes généraux tant pratiques que moraux auxquels elle adhère – se différenciant ainsi des autres sociétés.

Tout groupe humain se caractérise donc par sa façon d’agir et d’appréhender le monde. Au point de se croire le seul à être dans le droit chemin, et c’est ainsi que, dans les temps très anciens, chaque groupe se réservait l‘appellation d’humain : « Nous » – le reste du monde étant composé des « Autres », pour ne pas dire des Barbares. Au point qu’un certain Blaise Pascal a pu écrire « Vérité en-deçà des Pyrénées, erreur au-delà. »; il énonçait ainsi ce que nous entendons aujourd’hui par relativisme culturel, à savoir que les croyances, les activités mentales d'un individu sont relatives à la culture à laquelle il appartient et constituent pour lui un absolu. On en déduit alors aisément que toutes les cultures se valent, que donc on ne saurait établir entre elles de hiérarchisation. Ou encore, qu’on ne peut juger la façon d’être, de penser ou d’agir d’un étranger qu’en mettant de côté notre propre vision du monde, en nous glissant dans la sienne et en essayant de le comprendre à travers sa culture à lui. C’est ce que nous faisons spontanément lorsque, par exemple, nous lisons un texte ancien, ainsi certains passages de la Bible, des Évangiles, du Coran ou de la Torah : nous nous replaçons dans le cadre temporel qui fut celui où le texte a été écrit et nous gardons de juger selon nos propres standards, de pécher par ethnocentrisme. Mais ce faisant, nous restons conscients que de telles prescriptions ne sauraient s’appliquer telles quelles aujourd’hui car, avec le temps, nous avons continué à réfléchir sur la condition humaine, à nous « améliorer », humainement parlant. Et nous avons développé parallèlement une technologie et une pensée dont le potentiel d’intégration n’est plus à démontrer. La question de l’universalité des valeurs est délicate, mais on s’entend au moins sur ceci : égalité de traitement pour tous et toutes, droit de chacun et de chacune à son intégrité physique et mentale, liberté de conscience, liberté d’expression.

Ce consensus ne devient évident que lorsque ces valeurs se trouvent attaquées. Or, tel est aujourd’hui le cas : prévalent en effet sur le plan politique le multiculturalisme, frère jumeau du relativisme culturel, et chez beaucoup d’individus une attitude compassionnelle qui se veut vertu mais relève tout autant de ce même relativisme.

Nous avons beaucoup à apprendre des autres peuples, des autres cultures. Mais pas à régresser sur le plan d’une éthique à laquelle, au cours des derniers siècles, nous avons réussi de peine et de misère à donner véritablement valeur humaine.

Andrée Yanacopoulo, PDF Québec