jeudi 8 novembre 2018

De la pièce de théâtre Les fées ont soif

La reprise de la pièce de Denise Boucher connaît un succès éclatant : très vite, le théâtre du Rideau Vert a annoncé « complet ». Et la demande est si forte que la salle Pierre-Mercure (Centre Pierre-Péladeau) l’a mise à l’affiche pour les quinze premiers jours de janvier 2019.

Je me souviens… En 1977, trois comédiennes bien connues au Québec, Sophie Clément, Louisette Dussault et Michèle Magny, avaient entrepris d’écrire ensemble un texte engagé sur leur condition de femme – texte dont, grâce à l’aide de l’écrivaine Denise Boucher, devait sortir une pièce mettant en scène la Ménagère et la Putain, lesquelles dénonçaient avec un humour féroce l’aliénation des femmes – une aliénation incarnée par la forme statufiée de la Vierge Marie. Quelques mois plus tard, le Conseil des arts de la région métropolitaine de Montréal coupait, dans la subvention accordée au théâtre du Nouveau Monde, la part destinée à couvrir les frais de production de la pièce. Indignée, scandalisée, l’Association des directeurs de théâtre décidait de refuser en bloc toutes les subventions accordées par le Conseil tant et aussi longtemps que ce dernier ne serait pas revenu sur sa décision. Quant au directeur du TNM, Jean-Louis Roux, il était bien déterminé à monter la pièce à ses frais.

Dès le jour de la première, soit le 10 novembre 1978, un groupuscule intégriste, les Jeunes Canadiens pour une civilisation chrétienne, manifeste devant le TNM en l’aspergeant d’eau bénite et en scandant les mots « Tradition, famille, propriété » – le slogan international de l’extrême droite. Des groupes invoquent le caractère « ignoble », « grossier », « sacrilège », « obscène » etc. de la pièce. Quant à l’archevêque de Montréal, il condamne publiquement la pièce… tout en avouant ne pas l’avoir vue. Une requête en injonction interlocutoire est déposée devant le juge Paul Reeves, qui vise à faire interdire la pièce et tout aussi bien le livre que Denise Boucher vient de faire paraître.

Mais les groupes de femmes s’unissent et forment le « Mouvement pour les fées ont soif », lequel organise pour le 14 décembre 1978 (il fera un froid sidérant) une manifestation générale en face du nouveau palais de justice et lance en juin 1979 une pétition signée par 2000 personnes au moins : « Les fées ont soif de liberté ». Des fonds seront également recueillis pour que Denise Boucher puisse honorer sa dette envers son avocate, Me Joyce Yedid.

La Cour d'appel du Québec finira par lever l'injonction sur la pièce, laquelle continuera d'être jouée à guichets fermés, et à l'automne 1979 une tournée à travers le Québec la fera connaître à toutes et à tous. Les détracteurs de l'œuvre iront jusqu'en Cour suprême pour empêcher sa présentation : ils seront définitivement déboutés en février 1980.

Tout est bien qui finit bien ?

Non. Aujourd’hui, les fées ont encore et toujours soif…

Andrée Yanacopoulo, PDF Québec

samedi 31 mars 2018

De quelques femmes oubliées


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La très longue liste des prix Nobel de physique (elle commence en 1901 avec le nom de Wilhelm Röntgen, découvreur des rayons qui portent son nom – rayons encore dits « rayons X ») ne comporte que deux noms de femme : ceux de Marie Curie et de Maria Goeppert-Mayer. Les femmes seraient-elles moins « douées »? Que non. Lise Meitner, Jocelyn Bell-Burnell, voire Mileva Marić étaient tout aussi dignes de recevoir un Nobel. Si la communauté scientifique reconnaît aujourd’hui l’injustice faite aux deux premières, le cas de Mileva Marić demeure, lui, plus délicat. Il reste cependant que


Lise Meitner (Vienne, 1878 – Cambridge, 1968)


Cette physicienne, autrichienne d’origine, découvre en 1923 la transition non-radiative, laquelle prendra par la suite le nom d’effet Auger en l’honneur du scientifique qui, deux ans plus tard, a complété la description du phénomène. À partir de 1934, Lise Meitner travaille avec le renommé Otto Hahn sur la production en laboratoire d’éléments plus lourds que l’uranium. Tous deux sont aidés par le chimiste Fritz Strassmann. Leurs travaux mèneront quelques années plus tard à la découverte de la fission nucléaire. Hahn et Strassman recevront le prix Nobel de chimie en 1944.


Jocelyn Bell-Burnell (Belfast, 1943)



Doctorante à l’université de Cambridge, elle prépare sa thèse en radioastronomie, travaillant avec entre autres Antony Hewish et Martin Ryle à la fabrication d’un radiotélescope destiné à l’étude des quasars. En 1967, examinant les enregistrements du radiotélescope, elle remarque un signal radio-astronomique différent de ceux déjà connus – un signal dont la position semble constante et dont les pulsations, environ une par seconde, sont régulières : elle venait de découvrir le premier pulsar. Mais le Nobel de physique sera attribué (en 1974) à son directeur de thèse Antony Hewish et à Martin Ryle.


Mileva Marié (Titel, Serbie, 1875 – Zurich, 1948)



Première femme d’Albert Einstein, excellente mathématicienne – ce que lui n’était pas –, elle se souciait peu de signer les publications qu’il faisait, et qui très rapidement apportèrent à Einstein une gloire par ailleurs fort méritée. Elle « élucidait avec lui et donnait leur expression mathématique à ses représentations », écrivit en 1991 sa biographe Desanka Trbuovié-Gjurié. Mais la controverse n’a pas cessé depuis quant à savoir l’exacte importance de l’apport de Mileva aux travaux d’Albert, et ce d’autant plus que de nouvelles sources d’information ont été récemment mises à jour. (L’interprétation des documents est toutefois difficile car, contrairement à ceux d’Albert, les documents concernant Milena sont en très mauvais état.)



Andrée Yanacopoulo